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J'implose !

Toudoudlupdedupman

Oeuvre

INT. SALLE DES NOUVELLES - ENSOLEILLÉ

Même si les lèvres de la présentatrice bougent, il n'y aucun mot, aucun son, qu'un cillement. En grosse lettre, juste en bas d'elle, il est écrit : « La police abandonne les recherches du petit TONY après un an d'efforts. »

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INT. SALON DE JEAN-PAUL - ENSOLEILLÉ

Assis sur son vieux divan deux places, JEAN-PAUL AUBIN, 55 ans, ferme la télévision à l'aide de sa télécommande. Il est perdu dans ses pensées, d'où le cillement. À côté de lui, sur la deuxième place du divan, un cadre de sa défunte femme lui tient compagnie.

Jean-Paul fixe le néant, pensif.

Le cillement cesse au moment où il recouvre ses esprits, un sourire le gagnant.

Il se lève ensuite, déterminé, presque héroïque.

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INT. CAMION de Crèmes Glacées de Jean-Paul - ENSOLEILLÉ

Jean-Paul dépose un plan de la ville (sommairement imprimé à partir de Google Map) sur l'un de ses congélateurs, juste à côté d'une vieille télé et d'un magnétophone. Il écoute en boucle une centaine d'enregistrements VHS monochrome. Le café l'aide à tenir le coup, ainsi que sa folle détermination.

Il trouve finalement ce qu'il cherchait tant. Le 14 juillet 2012 à 16h30, le petit Tony marche sur le chemin du retour de l'école, avec son petit sac à dos à l'éfligi de superhéros, quand un homme imposant complètement masqué l'empêche de crier d'une main, le soulève et l'entraine vite dans les bois.

Jean-Paul réfléchit. Les bois. Il analyse attentivement celui-ci et compte qu'il débouche sur quatorze maisons, chacune d'elle ayant sa cour à l'orée du petit bois.

Il les numérote, puis regarde à nouveau la numéro 1.

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EXT. PREMIÈRE MAISON - ENSOLEILLÉ

Lorsque Jean-Paul lève la tête de sa carte, il est devant la première maison, au volant de son camion de crèmes glacées.

Le regard terne, fatigué, mais décidé, il va à l'arrière, met son costume d'homme-cornet, saisit deux glaces et se dirige vers la porte d'entrée. Bien qu'une armée de nains de jardin défile dans son champ de vision, il reste imperturbable.

Toc. Toc. Toc.

Jean-Paul attend. Les nains de jardin le regardent d'une manière de plus en plus persistante. Ces nains cachent quelque chose. Surtout le plus grand, celui avec la pelle. Il y a quelque chose de pas net avec cette maison. De plus en plus angoissé, il s'imagine le triste sort qu'a dû subir Tony.

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EXT. COUR ARRIÈRE DE LA PREMIÈRE MAISON - NUIT - IMAGINAIRE

Jean-Paul s'imagine le petit Tony peu à peu recouvert de plâtre par un gros homme barbu déguisé en roi des nains de jardin. Le roi finit de recouvrir Tony et admire son nouveau nain de jardin. Il lui donne un gros bisou sur la bouche.

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EXT. PREMIÈRE MAISON - ENSOLEILLÉ

Un chat miaule à ses pieds et Jean-Paul sursaute. Le chat en question est passé par une petite trappe en bas de la porte. Il l'observe, l'air intéressé par la crème glacée. Jean-Paul veut le flatter, mais une vieille dame finit par ouvrir.

Il la regarde, elle le dévisage. Il lui tend un cornet, elle lui ferme la porte au nez. Jean-Paul veut au moins en donner au chat, mais des mains apparaissent par la petite trappe pour saisir le minou et le ramener sec à l'intérieur.

Clic, elle verrouille la porte et la trappe. Puis, elle le regarde méchamment par une ouverture dans les rideaux de sa fenêtre. Jean-Paul lui envoie gentiment la main et en retour, elle lui montre une petite pancarte sur laquelle il est marqué « 911 ». Jean-Paul décide qu'il vaut mieux déguerpir.

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INT. DEUXIÈME MAISON - UN PEU MOINS ENSOLEILLÉ

Jean-Paul rature la première maison de la liste, celle-ci n'étant plus suspecte, puis lève les yeux vers la deuxième.

Le terrain est rempli de jouets la plupart brisée. Pourvu de ses fidèles deux cornets, il avance à tatillon, le bordel ambiant revêtant un aspect glauque dans son esprit parano. Des fantômes d'enfants s'amusent dans le cimetière de jouets.

Toc. Toc. Toc.

Cette fois, pas d'attente, une femme vient ouvrir. Elle tient deux bébés dans les bras, vraisemblablement débordée. Jean-Paul la regarde en souriant, lui proposant les deux cornets. La femme lui répond d'un sourire désespéré, s'écartant pour montrer ses sept autres enfants qui courent et sèment le chaos un peu partout. Jean-Paul compatit.

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INT. DEUXIÈME MAISON - UN PEU MOINS ENSOLEILLÉ

Il revient avec une pile de cornets dans les bras en essayant de ne pas en échapper. La femme cherche de peine et de misère son change en essayant de ne pas échapper de bébés. Jean-Paul lui fait signe que c'est correct, que c'est un cadeau. La femme est émue... et tous les enfants lui sautent dessus.

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EXT. TROISIÈME MAISON - ENCORE MOINS ENSOLEILLÉ

Jean-Paul rature la deuxième maison, puis constate les nombreux dommages sur son costume d'homme-cornet. Tant pis, inutile de rentrer : il préfère affronter la troisième maison.

Celle-ci est particulière de par son allure médiévale et l'ambiance qu'il y règne. Jean-Paul n'apporte même pas de cornets vu la musique jumelant un curieux mélange entre du heavy métal et du new age. À travers la grande fenêtre du salon, il voit une dizaine de personnes en costumes de latex sadomaso s'adonner à une fête bien alcoolisée.

Un des hommes, un imposant barbu pourvu d'une veste de motard et d'un pantalon en latex, ouvre la porte et le surprend dans son espionnage. Jean-Paul est tout de suite effrayé...

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INT. TROISIÈME MAISON - NUIT - IMAGINAIRE

Il s'imagine attaché avec une pomme dans la bouche, fouetté par les sadomasos, rampant vers un autel de sacrifices. Autour de l'autel, plein de vêtements d'enfants accrochés, dont le sac à dos superhéros du petit Tony, et des osselets.

Le gros motard lèche un couteau et se dirige vers lui...

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EXT. TROISIÈME MAISON - ENCORE MOINS ENSOLEILLÉ

Jean-Paul sort de ses pensées, le motard en latex posant une main sur son épaule, l'invitant jovialement à entrer. Il accepte, trop mal à l'aise pour refuser... et y passe l'un des meilleurs moments de sa vie. Cornets + sadomaso = amour.

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INT. TROISIÈME MAISON - ENCORE MOINS ENSOLEILLÉ

Suite de très courts plans : Jean-Paul est présenté à tout le monde, goûte des bières, danse, rit, fume un petit joint.

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EXT. QUATRIÈME MAISON

Jean-Paul frappe à la porte. Personne ne vient ouvrir, même s'il voit clairement un jeune homme jouer à son ordinateur.

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EXT. CINQUIÈME MAISON

Jean-Paul frappe à la porte. Un homme avec une armée de chiens qui ne cessent d'aboyer lui répond. Il soupire, sachant pertinemment que son costume perdra encore quelques morceaux.

Les chiens se mettent à sa poursuite.

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EXT. SIXIÈME MAISON

Jean-Paul frappe à la porte et celle-ci tombe, la maison est clairement abandonnée. Il s'en va comme si de rien n'était.

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INT. TROISIÈME MAISON

Jean-Paul joue aux échecs, au limbo, à la marelle.

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EXT. QUATRIÈME MAISON

Jean-Paul frappe dans la fenêtre, mais le jeune homme continue de jouer à son jeu, des écouteurs sur ses oreilles. Il abandonne et s'en va... mais trébuche dans un pot de fleurs (sans fleur) et se cogne la tête contre le rebord de l'allée.

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EXT. CINQUIÈME MAISON

Jean-Paul et les chiens courent vers la droite.

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EXT. QUATRIÈME MAISON

Le jeune joueur de jeu vidéo répond finalement à la porte, trouve Jean-Paul inconscient, prend un des cornets, lui met un billet dans les mains et retourne jouer sur son ordinateur.

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EXT. CINQUIÈME MAISON

Jean-Paul et les chiens courent vers la gauche.

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INT. TROISIÈME MAISON

Jean-Paul fait une dégustation de cornets avec les sadomasos.

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EXT. SEPTIÈME MAISON

Un rassemblement de nudistes épanouies et anarchistes lui ouvre la porte. Il est heurté par l'imagerie de toute cette nudité, des vieux de la vieille de la mode hippie la zoune à l'air. L'une des vieilles dames lui prend un cornet et le suce abondamment d'une manière experte tout en lui faisant un clin d'oeil. Jean-Paul sourit, gêné, quelque peu troublé. La dame l'agrippe soudainement et l'attire vite à l'intérieur.

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EXT. HUITIÈME MAISON

Une météorite est tombée sur la huitième maison, elle est entourée d'un paquet de pompiers et de policiers.

Jean-Paul décide qu'il vaut mieux ne pas y vendre de cornets.

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EXT. NEUVIÈME MAISON

Il est face à face avec une troupe de cirques burlesque en deuil. Des clowns pleurent, un nain vomit dans les fleurs, complètement fini, un monsieur muscle soulève des altères en fixant le vide et des cracheurs de feu brûlent des albums photos devant un homme en camisole complètement défait. Seule une petite dame reste déterminée, celle qui lui a ouvert la porte. En effet, Nancy Jolie finit d'enfiler son costume, lui fait signe qu'elle n'est pas intéressée et s'en va de la maison. Les autres la suivent, intrigués. Jean-Paul reste là, confus... mais soudain, cliché oblige, le nain le frappe dans les parties, lui vole ses cornets et rejoint vite ses amis.

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INT. TROISIÈME MAISON

Jean-Paul se fait fouetter par les sadomasos et il aime ça !

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EXT. DIXIÈME MAISON - COUCHÉ DU SOLEIL

Jean-Paul rature les maisons de 3 à 9, puis tente de se ressaisir, massacré, épuisé. Il prend quelques pilules qu'il avale à l'aide d'un vieux reste de café, puis sort du véhicule pour affronter une autre maison... qui cette fois est totalement ordinaire. Une construction récente, usinée.

Il prend deux cornets et se lance.

Toc. Toc. Toc.

C'est long, mais un homme dans la trentaine finit par répondre. Il porte un complet veston déboutonné, venant certainement juste de revenir du travail. D'ailleurs, il est dérangé par la présence du vendeur de crème glacée, n'aimant pas l'idée d'un colporteur sur son temps de repos.

Jean-Paul lui sourit en lui tendant une glace. L'homme hésite. Jean-Paul continue de sourire, rayonnant, habitué de charmer les plus récalcitrants. L'homme soupire, regarde l'heure, fouille dans ses poches puis donne de la monnaie à Jean-Paul. Celui-ci lui tend le cornet, mais l'homme s'impatiente exagérément, faisant signe qu'il a payé pour deux.

Jean-Paul a, à cet instant, un très mauvais pressentiment. Il donne le deuxième cornet, la monnaie et fixe la porte qui se referme. Le cillement revient. Il se perd dans ses pensées.

[...]

EXT. DEVANT CHEZ LUI, DANS SON CAMION - SOIR

Toudoudlupdedup, le camion joue sa musique.

Jean-Paul arrête son camion devant chez lui, mais reste dedans, le cillement perdurant. Il est sous le choc. Il sort de ses pensées pour saisir un petit ordinateur portable.

Il fait des recherches sur cet homme en débutant par l'adresse. Le nom, Julius Frinchette. Petite recherche sur Facebook. Célibataire. Aucun enfant. Aucun neveu, aucune nièce. Aucun enfant ou famille sur ses photos. Mais 2 cornets.

Il a son suspect.

Jean-Paul grimpe à l'arrière de son camion et passe quelques heures à améliorer son costume d'homme-cornet. Il lui ajoute une cape, un bandeau avec des trous pour les yeux, des bandeaux sur les genoux et les coudes, et une coquille de hockey au cas où il croiserait à nouveau ce nain de malheur.

Il est prêt à sauver le petit Tony.

[...]

EXT. COUR ARRIÈRE DE JULIUS - NUIT

Jean-Paul passe par-dessus la clôture, s'accroche et tombe face première. Il se relève endolori en espérant ne pas avoir fait trop de bruits, puis il se dirige vers la porte-fenêtre.

Sa trousse à outils à sa taille, il utilise un crochet et un marteau pour faire sauter le vulgaire petit loquet en plastique. Il cherche ensuite un peu partout, mais surtout sous les tapis et les meubles, se disant que le petit Tony doit nécessairement être enfermé dans un sous-sol dissimulé.

Au moment de tirer le tapis du salon, Julius, en robe de chambre, apparait devant lui, l'air endormi, mais stupéfait.

Les deux hommes se regardent un long moment, perplexe. Chacun attend le premier mouvement de l'autre... et lorsque Julius saisit le combiné du téléphone, Jean-Paul lui lance son marteau en plein milieu du front. Julius s'écroule, inconscient... ou mort. En tout cas, il saigne beaucoup.

Jean-Paul se dépêche de soulever le vieux tapis antique. Rien. Il désespère un peu, mais soudain, il voit une trappe au plafond, l'ouvre et tombe face à face avec le petit Tony. L'enfant est effrayé, mais vite rassuré par le costume de superhéros. Jean-Paul lui sourit, incroyablement heureux de l'avoir enfin trouvé, et l'attrape pour le descendre.

[...]

INT. CHEZ JEAN-PAUL - NUIT

Jean-Paul dépose Tony (montage par intervalle) dans un lit, avec un pyjama tout propre, une doudou et un ourson.

Il le serre fort dans ses bras. L'enfant reste immobile, ne réagissant pas vraiment, quelque peu perdu, confus.

Jean-Paul verse quelques petites larmes de joie et termine le tout avec un petit bisou sur le front. Il lui laisse une veilleuse et s'en va vite s'écrouler dans le salon avec une bonne bière ; l'homme pas jeune jeune épuisé par sa journée.

À ses côtés, le cadre de sa femme qu'il embrasse tendrement.

Il actionne la télé qui s'ouvre là où il l'avait laissée, sur les nouvelles. La dame de la maison 9, Nancy Jolie, confiante, mais les yeux pleins d'eau, ainsi que son mari en camisole, avec un nez de clown, sont devant leur cirque burlesque. En bas d'eux, il est écrit : « Le petit Tony, ce n'est pas fini : les parents refusent d'abandonner. Un cirque urbain servira à amasser des fonds pour embaucher une équipe de détecti... »

Le cillement est de retour. Jean-Paul éteint la télé.

Autour de lui, sur les murs, diverses photos d'enfants disparus chacune pourvue d'indications variées : retrouvé, assassiné, certainement mort noyé, recherche infructueuse, etc. Rendu au petit Tony, une mention bien spéciale :

« Le nouveau fils du vendeur de crèmes glacées. »

Le regard vide, Jean-Paul décapsule sa bière. Spliche.

(THE END)

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